Du transmedia à la Fiction totale

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par Eric Viennot, publié le 4.07.2012

Cross-média, transmedia, multimédia : on emploie encore alternativement ces termes, souvent sans distinction,  et sans trop savoir ce qu’ils recouvrent.  Henri Jenkins, ex-directeur du laboratoire d’études des média au célèbre M.I.T (désormais à l’Annenberg Lab) a été le premier universitaire à s’intéresser de manière théorique aux jeux vidéo et aux nouveaux média. C’est lui, qui, le premier, a mis le focus sur le transmedia et tenté d’en donner une définition.

 

 


Il a montré ainsi comment des œuvres comme Matrix, plutôt que de générer de simples produits dérivés, ont inauguré une nouvelle façon de créer un univers fictionnel à travers des médias complémentaires.

Alors que dans le cross-média, on décline, en l’adaptant, une œuvre principale (souvent un film ou un livre)  sur un certain nombre de supports secondaires, l’univers transmedia est généré par plusieurs médias, qui apportent tous, de manière plus ou moins égale, grâce à leur spécificité, un regard nouveau sur l’univers et l’histoire. Chaque média a sa propre autonomie, sa propre temporalité, mais en même temps, chacun apporte sa pierre à l’ensemble de l’édifice. Si le transmedia inaugure une nouvelle façon de raconter des histoires sur plusieurs médias, on s’aperçoit qu’il ne rime pas forcément avec interactivité. Encore trop souvent, il n’est, en ce sens, qu’un système de cross-média amélioré.

Dans les ARG (Alternate reality game, jeu en réalité alternée), ou les jeux qui s’y apparentent comme In Memoriam, l’interactivité est, au contraire, le moteur de l’expérience. Cela induit une configuration différente en matière de dispositif, d’utilisation des différents médias, et de réalisation.

En novembre 2005, j’ai été invité au M.I.T pour présenter In Memoriam. Après ma présentation, Henri Jenkins, a mis l’accent devant ses étudiants sur un point qui lui paraissait essentiel dans l’expérience : la simultanéité des différents médias sollicités et leur imbrication au service de la narration.

Dans In Memoriam , les différents médias se répondent et s’enrichissent les uns les autres. Sites web, films, emails, sms, appels téléphoniques, jeux et applis ludiques se complètent et se répondent pour apporter aux joueurs une expérience interactive variée, tout en étant cohérente. Ils génèrent au sein du système de jeu une unité narrative et surtout un continuum d’expérience indispensable pour brouiller les pistes entre la fiction et la réalité.

C’est ce point qui m’intéresse en premier lieu et qui permet de générer ce sentiment d’immersion troublant que j’ai souvent évoqué dans mes articles ou interviews. Dans ce système, le joueur, passe de la position de spectateur, dans laquelle le confinent encore la plupart des œuvres transmedia, à une position d’acteur. Et, contrairement à la plupart des jeux où il incarne un avatar, dans ce concept de jeu, il est invité à jouer « son propre rôle » ce qui rend l’expérience d’autant plus forte. Il a le sentiment de faire partie de l’histoire, elle-même impactée par ses choix et les choix des autres joueurs. Parce qu’il sollicite un maximum de médias simultanément et qu’il tente de mélanger la réalité et la fiction j’ai appelé ce concept la Fiction Totale.


La Fiction totale s’apparente aux ARG, qui eux aussi mettent en œuvre, en temps réel, plusieurs médias interconnectés : mais alors que les ARG (de part leur nature promotionnelle), proposent une expérience morcelée qui manque, trop souvent, d’accompagnement, de force ou de cohérence, la Fiction totale accompagne le cheminement du joueur.

Elle le prend en charge, le relance quand il est perdu, lui donne sans cesse envie d’avancer dans l’histoire. En un sens, la Fiction totale tente de rompre avec l’esprit élitiste ou amateur des ARG. Elle tente de les rendre plus accessibles et plus populaires.

Elle ouvre à un large public différentes possibilités d’engagements dans l’expérience, selon l’envie et la disponibilité de chacun. Elle permet aux spectateurs de devenir joueurs et acteurs de l’expérience, voire même, à ceux qui en ont la motivation, de devenir des héros de l’histoire.

En conclusion, la Fiction Totale réunit des médias jusqu’ici séparés : webséries, jeux vidéo, réseaux sociaux. Elle tente de créer une nouvelle façon de raconter des histoires, en utilisant la spécificité et la complémentarité des différents supports et des différents médias. Temps réel, cohérence, participation et surtout immersion, en sont les principaux ressorts.

Si des jeux vidéo comme Majestic ou In Memoriam en ont créé les bases, on peut considérer que la fiction totale était déjà en germe dans la célèbre émission d’Orson Welles la Guerre des mondes, ou d’une certaine façon, dans des films plus récents comme Blair witch project ou Cloverfield, des séries comme Lost ou Fringe.

Alt-Minds, la fiction interactive et participative sur laquelle nous travaillons depuis 4 ans avec Orange, tentera d’en apporter, 10 ans après In Memoriam, une nouvelle concrétisation par l’exemple.

http://www.dailymotion.com/videoxrtode
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auteur Eric Viennot

Plasticien de formation, Eric Viennot a pratiqué et enseigné pendant plusieurs années les nouveaux médias à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Il est co-fondateur et directeur de création du studio Lexis Numérique, studio indépendant de développement de jeux vidéo. Tout en assurant la direction de Lexis Numérique, Eric Viennot mène en parallèle un parcours d’auteur réalisateur. Créateur des aventures de l’oncle Ernest, il est également l’auteur d'In Memoriam (sorti en 2003), premier thriller interactif à la convergence du jeu vidéo, d’Internet et du cinéma. Eric Viennot est reconnu aujourd’hui comme un des pionniers de la fiction transmedia.