The Blair Witch Project, une référence transmedia ?

the blair witch project

par Olivier Godest, publié le 10.03.2011

Nous sommes souvent à la recherche d’un projet référence en matière de storytelling transmedia. Difficile de trouver cette perle rare mêlant différents supports media, indépendants les uns des autres; jouant sur la participation et l’interaction; le tout avec un budget limité et une success story. Il semblerait que cette référence  pourrait bien être un film sorti il y a déjà plus de 10 ans : The Blair Witch Project. Mêlant habilement fiction et réalité, les équipes du film se sont amusées à exploiter les spécificités de chaque media pour mieux nous faire rentrer dans leur univers.


Synopsis

Le 21 octobre 1994, trois étudiants en cinéma disparaissent dans une forêt près de Burkittsville, dans le Maryland, alors qu’ils tournaient un documentaire sur la sorcière de Blair Witch.

Un an plus tard, la bande vidéo de leur film a été retrouvée sur les lieux de leur disparation… il s’agit du film projeté aux spectateurs : « Le projet Blair Witch »

Mais cette bande vidéo que l’on a retrouvée, est-ce la retranscription d’un vrai documentaire ou est-ce une fiction ? Ces trois étudiants sont-ils vraiments morts ?

 

 

Format

Film d’horreur – 86 minutes

Production

Haxan Films

Objectif

Promouvoir la sortie du film en salle, en jouant sur l’ambiguïté « vrai-faux documentaire », pour ancrer le sentiment de peur du spectateur.

 

Chronologie

25 janvier 1999 : Le film est présenté pour la première fois lors du festival du film de Sundance

16 juillet 1999 : Première sortie en salle aux Etats-Unis (27 en tout)

Un site web dédié au film existe en parallèle (celui-ci présente le « dossier Blair Witch » de manière véridique et joue volontairement sur l’ambiguité : « Est-ce un film ou un vériable documentaire ? »)

30 juillet 1999 : Succès retentissant du film, notamment grâce au marketing viral développé sur Internet.

Sortie nationale sur tout le territoire américain (800 salles en deuxième semaine, 1 100 en troisième semaine)

 

Une stratégie de marketing narratif au cœur du dispositf

Le succès du « Projet Blair Witch » repose en grande partie sur le site Internet développé en parallèle. L’idée de cette plateforme était de suggérer le film comme étant la retranscription d’un événement ayant réellement existé. Nous parlons bien de « suggestion » et non de « mensonge ». A aucun moment le discours de l’équipe du film n’a été de dire que ce n’était pas une fiction… mais, ils ont laissé planer le doute.

Eduardo Sanchez, le réalisateur du film, avait pensé ce dispositif bien en amont, il imaginait alors ce site comme le dernier maillon de « l’expérience » Blair Witch.

Après sa première présentation en janvier 1999, lors du festival de Sundance, le film prépare sa sortie dans 27 salles aux Etats Unis. A l’époque, aucune affiche, aucun spot publicitaire, mais 15000$ de budget pour créer un site : www.blairwitch.com

L’équipe du film travaille alors avec Artisan Entertainement, une petite société de distribution. Le directeur du marketing, John Hegeman, n’a pas de  budget  publicitaire  il décide donc de retravailler le site Internet du film créé par les cinéastes.

De plus en plus de spectateurs vont voir le film, la réalisation est étonnante (caméra à l’épaule, intimiste, traitement de l’image minimal, on croit vraiment découvrir le « vrai » film de ces trois étudiants). Cette manière originale de filmer intrigue, des rumeurs commencent à naître sur Internet (un media très efficace pour cela puisque l’information qui y circule n’y est pas contrôlée) : « Finalement… est-ce vraiment un film de fiction ? »

Certains disent pouvoir affirmer que des images du film sont tirées de documents réels, les trois étudiants auraient bel et bien existés… L’imaginaire collectif est souvent bien plus puissant qu’on ne peut l’imaginer !

Pour trouver les réponses à ces questions, l’une des destinations privilégiée du public est bien sûr le site Internet de Blair Witch. Ils découvrent alors un étalage de fausses preuves faisant écho au film. Rien n’est présenté comme étant de vraies preuves, mais cela alimente la rumeur.

Belle évolution ! Nous ne sommes pas sur un site promotionnel mais bien sur un prolongement de l’univers narratif. Le site contient des rapports de police, des  extraits du journal de l’un des  personnages ou encore une interview vidéo des parents en deuil. Chaque semaine de nouveaux éléments sont mis en ligne. L’attente est attisée, les discussions online vont bon train et le public s’amuse à faire travailler son imagination.

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La rumeur enfle ! Ceux qui n’ont pas vu le film en entendent parler de plus en plus, le bouche à oreille commence à fonctionner. Deux semaines plus tard, le phénomène « Blair Witch » a envahit les Etats-Unis, il sort sur tout le territoire.

Le site web du film connaîtra des pics d’audience allant jusqu’à 3 millions de connexions par jour et il engrangera plus de 75 millions de visites…

Pour finir, la société de distribution Artisan réussit à conclure un accord avec la chaîne de Science Fiction (The Sci  Fi  Channel)  pour aider au financement de « Curse of  the Blair Witch », un autre faux documentaire. Celui-ci est muet et n’a pas coûté très cher, il a été créé par les deux réalisateurs à partir de leurs rushs de repérages. Diffusé la veille de la sortie, ce film a battu les records d’audience de la chaîne.

 

L’un des premiers exemples de Community Management appliqué à un film

Pour trouver son public, l’équipe du film a joué ici sur l’illusion de la réalité. La réalisation laisse à penser que ces trois jeunes étudiants existent et qu’ils sont vraiment à l’origine de ce « documentaire ».

Le site web appuie cette impression en diffusant des documents annexes, visant à renforcer une perception tronquée de la réalité (le film n’a jamais été présenté « officiellement » comme étant un vrai documentaire)

Les rumeurs créées par cette ambiguité créent un bouche à oreille, cela alimente les discussions online, des communautés commencent à se former pour trouver les réponses à toutes ces questions. L’ensemble de la chaîne des media s’empare du phénomène, générant une puissante caisse de résonnance.

On découvre également les premiers pas du community management autour de la sortie d’un film. L’équipe de « Blair Witch » s’est ainsi adressée plus particulièrement à la communauté de la sorcellerie sur Internet. Ses membres s’étant approprié le concept, ceux-ci n’ont pas hésité à développer un réseau de liens online menant au site Internet officiel, aujourd’hui nous pourrions parler d’une stratégie de référencement naturel très efficace.

Quelques opérations ponctuelles ont également été développées sur des campus amércains, à destination des étudiants, au travers d’exposition des « objets retrouvés » ou via la distribution de flyers pour retrouver les trois étudiants disparus.

 

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Des réactions mitigées mais les résultats sont là

La réaction du public est mitigée : là où certains crient au génie, d’autres crient au scandale marketing. Mais l’aspect objectif de ce papier et le recul permettant une analyse moins passionnée, nous permet de dire que l’ensemble du « Projet Blair Witch » a tout de même été une vraie réussite.

Personne ne fait l’unanimité, mais à l’heure d’Internet, le pire pour un film ne serait-il pas plutôt de ne susciter qu’indifférence ? L’équipe de Blair Witch a réussi un coup de maître dans l’industrie du cinéma (65 000$ de coûts de réalisation pour 140 millions $ de recette au box office durant l’été 1999, une rentabilité encore inégalée).

La gestion communautaire online a également été couronnée de succès (des communautés qui portent la promotion du film, des fans qui créent de nombreux sites pour résoudre les énigmes du film).

Les media plus traditionnels ont également participé au succès, en relayant « le buzz » et en bouclant l’ensemble d’un dispositif bien ficelé en touchant cette fois-ci une audience de masse, entraînée par une audience plus ciblée ; le succès entraîne le succès.


Bilan

L’une des réponses à la question « où se trouve la frontière qui nous permet de jouer entre la réalité et la fiction » se trouve peut-être ici : l’interrogation et le doute suscités sont souvent bien plus forts que les réponses que l’on peut y apporter. C’est là toute la difficulté entre cacher la vérité, mentir et jouer sur l’ambiguité qui est en jeu.

Dans le cas d’un film d’épouvante comme celui-ci, la gratification pour le spectateur vient aussi de cette ambiguité qui démultiplie ses sentiments de peur (but souvent recherché dans le visionnage de ces films) s’il se laisse emporter par l’idée que tout ceci est « peut-être » réel.

Désormais, personne ne s’étonne que l’on fasse un site web pour assurer la promotion d’un film Hollywoodien, la stratégie de l’équipe de « Blair Witch » garde cependant encore de l’avance sur beaucoup de productions récentes. Pourquoi ? Parce que Eduardo Sanchez et Artisan Distribution ont pensé le dispositif marketing comme une prolongation de la narration initiale : moins intrusif, plus percutant et surtout plus engageant pour une audience en recherche de sensations fortes.

« We had created this whole mythology and I just kept massaging it and building more details into it. Really for us, it wasn’t about creating this whole new way of marketing films – people are on the web asking about this movie, how else are we going to get it to them ? » Eduardo Sanchez © BBC News

Doutes, questions, rumeurs, sujet fort, contenu additionnel, renouvellement, (dés)informations : un terreau idéal pour préparer la sortie d’un film à suspense, qui restera sans nul doute un très bon exemple pour préparer nos futures œuvres transmedia.

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Désormais, une partie des équipes de Blair Witch a crée une agence de marketing qui s’appelle Campfire… je vous invite vivement à découvrir leur travail si ce n’est pas encore fait !

 

Satisfaction du public Capture d’écran 2011-02-15 à 13.33.11

Les faits sont là, le succès du film n’est plus à démontrer. On peut donc conclure que le public a été plutôt satisfait par l’expérience Blair Witch ; même s’il y a eu aussi beaucoup de contestataires (ce qui n’est pas toujours pour déplaire). Cela reste sans aucun doute un film qui aura marqué son temps.

 

Créativité Capture d’écran 2011-02-15 à 13.33.18

Le projet Blair Witch a de nombreux points communs avec The Last Broadcast, un projet de Stefan Avalos et Lance Weiler sorti en 1998. Mais l’on pense surtout à Cannibal Holocaust, tourné en 1978. Le format est également un documentaire fictif. Le marketing du film était basé sur la disparition réelle ou fictive des journalistes du film (le réalisateur fut même accusé à l’époque d’avoir filmé de vraies scènes de meurtres).

Un format qui avait donc déjà existé, mais qui a inspiré par la suite de nombreux films tels que Rec ou Cloverfield.

 

Ingéniosité du dispositf Capture d’écran 2011-02-15 à 13.33.11

Si l’on compare avec les moyens d’aujourd’hui, la stratégie online n’est certes pas très étoffée. Mais elle est cependant très maligne. Développement du site avec 15 000$ (très peu pour l’époque), plus de 75 millions de visites, un rendement exceptionnel, surtout en 1999. Une stratégie de community management aussi limitée mais extrèmement précise, pour créer une base d’ambassadeurs qui ont été les fers de lance pour la promotion du film (référencement, échange de liens, bouche à oreille, etc.)

 

ROI (Retour Sur Investissement) Capture d’écran 2011-02-15 à 13.32.54

65 000$ de coûts de réalisation, 140 millions $ de recette au box office durant l’été 1999. Qui dit mieux ?

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auteur Olivier Godest

Brand Manager #MIPCube @ReedMidem // Digital & Social Media Strategist, expertise Transmedia. Ex-Transmedia Lab. Plus d'informations sur www.olivier-godest.com