Le casse-tête des critères de classification transmedia

questions

par Olivier Godest, publié le 3.05.2011

Depuis plusieurs mois maintenant, nous analysons des projets ou des oeuvres transmedia, nous réfléchissons à des méthodologies pour les écrire, nous donnons notre point de vue sur certains d’entre eux et nous essayons de définir des critères permettant de comprendre pourquoi une oeuvre est transmedia ou non.

 

 

 


Désormais, La Guilde des Producteurs aux US ou le CNC en France ont dessiné des guidelines pour savoir si votre projet peut être adoubé « TRANSMEDIA », tout du moins pour recevoir une aide financière.

Mais malgré ces critères, il n’est pas toujours évident de savoir comment classifier son projet parmi la jungle des oeuvres multi-supports qui existe aujourd’hui.

Reprenons du début. Comment définit-on une oeuvre transmedia si l’on s’appuie sur les travaux d’un certain Henry Jenkins ?

« À la différence du cross-media (ou plurimedia) qui décline un contenu principal sur des médias complémentaires, le transmedia articule un univers narratif original sur différents médias. Cet univers est porté par différents supports (TV, Internet, Mobile, Radio, Édition, Tablette, etc…) qui apportent, grâce à leur spécificité d’usage et leur capacité technologique, un regard nouveau et complémentaire sur l’univers et l’histoire. Les différents éléments qui composent cet univers peuvent être explorés et compris indépendamment les uns des autres : on parle de points d’entrée multiples dans l’histoire. »

J’ai participé à l’élaboration de cette définition en français, disponible sur l’article Wikipedia, pourtant, je me retrouve souvent confronté à des oeuvres qui s’approchent de ces critères, mais qui ne les englobent pas toujours totalement.

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Le Dr Christy Dena référence de son côté deux types d’oeuvres transmedia (je vous invite à lire bien plus en détails son analyse ici) :

- Soit une collection de plusieurs histoires qui se racontent en mono-media dans un univers donné (ex. les franchises)

- Soit une collection de media qui raconte une histoire (ex. un programme de divertissement qui se passe à la fois sur la tv et le web, en simultané)

Viennent ensuite deux formes de narration transmedia :

- Celles où l’on part d’un contenu pré-existant (elle parle d’une « expansion » de l’univers)

- Ou celles qui sont conçues dès le début avec les critères d’une oeuvre transmedia

Cette approche me paraît être la plus en phase avec le marché actuel. Mon analyse sur la perception des oeuvres transmedia d’aujourd’hui se base donc sur ces critères, elle se divise en trois parties :

 

Une unique histoire racontée sur plusieurs media


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Prenons l’exemple de Cathy’s book. Ce roman jeunesse raconte la disparition mystérieuse  d’une jeune ado, ce livre est son journal intime qu’elle a laissé à sa soeur.

Sur la couverture du livre, un détail intriguant : un numéro de téléphone…

Au dos du livre, l’auteur invite ses lecteurs à résoudre certaines énigmes pour retrouver Cathy. Pour cela, il explique que l’on pourra utiliser des numéros de téléphone, mais nous serons également orientés pour faire des recherches sur Internet. L’objectif : progresser dans la résolution de l’enquête et retrouver Cathy.

Le livre comprend par ailleurs une enveloppe contenant des indices : photos, cartes de visites, articles de journaux…

Cette oeuvre peut-elle être qualifiée de transmedia ?

La question mérite d’être posée, a priori il n’y a pas d’indépendance totale entre les media… (cf.définition : « Les différents éléments qui composent cet univers peuvent être explorés et compris indépendamment les uns des autres : on parle de points d’entrée multiples dans l’histoire »)

Le mobile et le web sont des extensions du media livre. Ces media permettent de plonger plus en profondeur dans l’histoire, de participer, mais ils n’apportent pas un nouveau point de vue sur l’histoire principale (et encore… cette notion prête aussi à discussion).

Il existe également une application IPhone comme autre point d’entrée dans l’histoire.

Et sur le web de multiples sites et de nombreux forums sur lesquels tous les enquêteurs en herbe peuvent échanger entre eux.

Dès lors, comment peut-on qualifier cette oeuvre ? Un jeu en réalité alternée, un ARG ? Un livre numérique ?

De mon point de vue, c’est du transmedia. Indépendance totale des media ou pas… Cet exemple est l’illustration d’UNE forme de storytelling multi-support. On retrouve tout de même un univers répartis sur plusieurs media, une bonne dose d’interactivité et une participation du public selon différents niveaux d’engagement.

Dans le même registre nous pourrions citer Detective Avenue.


Les transformations transmedia et les franchises


Ce sont les exemples les plus courants puisqu’ils sont avant tout basés sur une prise de risque minimale.

C’est l’histoire d’un producteur et d’un diffuseur qui mettent à l’écran une série TV, parlons de Dexter par exemple. Nous vous en avons parlé précédemment, il s’agissait à la base d’un livre. La première saison repose d’ailleurs sur ce même livre. A ce niveau, nous sommes donc plutôt sur de la déclinaison, du cross media.

Mais avec le succès grandissant de la série, l’histoire de notre producteur et de notre diffuseur va passer à une étape supérieure.

Pourquoi ne pas investir les autres media alors que la marque « Dexter » est une marque à succès ? Une fois la confiance installée il est bien plus facile de débloquer les moyens financiers permettant d’étaler son univers sur plusieurs media. Se développent alors en parallèle de la série : des webséries, des jeux, des opés marketing, des applications smartphone etc.

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L’objectif est alors de compenser l’attente des fans entre deux saisons, de ne surtout pas perdre une communauté si difficile à construire. Mais également, si possible, de générer du business. Et le maître en la matière est bien évidemment George Lucas.

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Cette logique est la même que celle exploitée par ce grand Monsieur du cinéma avec Star Wars. Certes il y a beaucoup de produits dérivés (qui n’apportent rien de neuf à l’histoire), mais il y a surtout des livres, des jeux video, une série d’animation etc. qui amènent des regards complémentaires sur l’univers. Pourquoi ? Parce qu’il y a avant tout le succès d’un film, d’une trilogie, d’une marque ! Prise de risque minimale et rentabilité a priori très intéressante.

L’univers transmedia s’est déployé par la suite, il n’est que le prolongement d’une oeuvre à la base mono-media.

Autre exemple dont nous avons parlé précédemment :  Tron en version transmedia

Ici nous touchons à deux points évoqués par Christy Dena : « une collection d’histoires qui se racontent en mono-media » et « l’écriture à partir d’univers expansifs ».

 

Les œuvres « pur » transmedia


Les plus difficiles à trouver en France aujourd’hui… Encore trop souvent à l’état de projets, ce sont des univers narratifs qui correspondent à l’ensemble des critères de la définition de base citée précédemment.

Une stratégie global media est mise en place dès la phase de création, pour que les liens entre chaque media soient pensés de la manière la plus harmonieuse possible. C’est un univers narratif que l’on déploie à travers les media, pas une histoire unique, ce qui fait peut-être une différenciation avec le premier point. La différence est infime mais elle existe.

L’un des meilleurs exemples illustrant cette stratégie est « The Blair Witch Project » dont je vous avais parlé précédemment.

On pourrait également parler de nombreux ARG qui ont beaucoup inspiré ces mécaniques.

Un bon exemple est celui de la campagne HBO pour le lancement de la série True Blood. Le budget marketing a ici été utilisé pour prolonger l’univers de l’histoire en amont de la diffusion TV… et les résultats en terme de circulation d’audience ont été excellents.

 

Conclusion


De mon point de vue il y a deux perceptions des oeuvres transmedia aujourd’hui :
- la réalité du marché et les expériences concrètes qui nous sont proposées, celles qui ne sont pas parfaites mais qui existent
- et les « purs » projets transmedia tels que nous les imaginons (avec l’ensemble des critères que l’on connaît) mais qui ont encore du mal à éclore (surtout en France)

L’indépendance totale des media est peut-être l’un des points les plus discutables dans les critères de qualification d’un projet transmedia. Souvent, le media moteur prend une place prépondérante dans l’univers global, ce qui en fait un élément quasi-incontournable pour passer la première couche, les autres points d’entrée ayant rarement la même intensité narrative. Dès lors, peut-on parler d’une réelle indépendance des media les uns par rapport aux autres ?

De plus, dans certaines oeuvres, plusieurs media sont mis à disposition du spect’acteur pour résoudre une enquête ou simplement pour progresser dans l’histoire, comme dans l’exemple de Cathy’s Book et de Detective Avenue. Mais ici chaque media n’est pas vraiment un nouveau point d’entrée dans l’histoire, on parlera plutôt d’un vecteur de communication complémentaire pour progresser dans l’enquête ou pour enrichir l’histoire diffusée sur le media principal. Dès lors, doit-on dire que ce n’est pas du transmedia ? Je ne le crois pas.

La perception et la différenciation de tous ces projets novateurs est une véritable source d’inspiration pour la création internationale, mais comme pour beaucoup d’oeuvres artistiques, il n’est vraiment pas évident de les ranger dans des cases (et tant mieux !).

Je serai heureux de lire vos avis sur le sujet !

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auteur Olivier Godest

Brand Manager #MIPCube @ReedMidem // Digital & Social Media Strategist, expertise Transmedia. Ex-Transmedia Lab. Plus d'informations sur www.olivier-godest.com