Transmedia et le crowdfunding

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par Ana Vasile, publié le 28.09.2011

Le crowdfunding (production communautaire) est sur le devant de la scène ! De nombreux sites Web tels que MyMajorCompany, Kickstarter, Invested.in, IndieGogo ou Touscoprod proposent aux communautés virtuelles de financer des musiciens, des films, des projets journalistiques ou des documentaires. De plus en plus de projets transmedia et multiplateformes font appel à ce type de financement. Nous avons choisi de nous intéresser à trois d’entre eux : Balance of Powers, NightVision et « A History of the Future in 100 Objects. » Ces trois projets émergents, financés par les communautés numériques, témoignent de l’efficacité de ce type de financement.Doté d’une approche singulière, le projet de Christy Dena a également attiré notre attention.

Entre fans et producteurs

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Dans un premier temps, les sites de crowdfunding ont tenté d’attirer les internautes en leur proposant de devenir producteurs. Question délicate, notamment en France où le titre de producteur implique de percevoir une partie des bénéfices… Les créateurs ont fini par prendre conscience qu’il était tout bonnement impossible de partager les bénéfices avec des milliers de « producteurs en ligne » anonymes.

Ils ont donc décidé d’offrir aux internautes des objets ou des contenus exclusifs en échange de leur soutien financier. Une tâche difficile si on prend en compte le fait qu’Internet est l’empire de la gratuite. Brian Newman expliquait comment proposer du contenu capable d’être monétisé dans : « Give them a reason to buy ! » Selon lui, les internautes sont prêts à payer pour du contenu unique, personnalisable, authentique et accessible.  Sur le papier, cela devrait parfaitement fonctionner dans le cadre des projets transmedia, l’univers narratif y jouant un rôle clé.

La production communautaire au service d’un univers narratif : Balance of Powers

Initié par les auteurs de Perplex City, Balance of Powers est un projet visant à créer un nouvel univers narratif alternatif et sombre, une histoire accessible gratuitement sur le Web, structurée en huit chapitres, se déroulant sur huit semaines.

Financé par les internautes via le site Kickstarter, Balance of Powers nous raconte l’histoire de quatre personnages dans un monde en pleine Guerre Froide. « Leurs histoires convergent vers une ville étrange montée sur pilotis appelée Midway, un lieu unique où se jouera l’équilibre des forces en présence. » Meurtres, politique internationale, interventions armées, enquêtes, espionnage… Tels sont les ingrédients de cet univers narratif riche et plein de promesses qui pourrait se poursuivre sur plusieurs saisons, s’il bénéficie d’un soutien suffisant de la communauté.

 

Balance of Powers est présenté comme une expérience hybride en ligne, un mélange entre livre et jeu en réalité alternée : une histoire sous forme d’épisodes en ligne gratuits avec des contenus spéciaux réservés aux abonnés, notamment des lettres des personnages et même des journaux et des artefacts tirés de l’univers narratif.

Les fonds levés auprès des internautes devraient permettre d’assurer la conception graphique et de créer des objets physiques, de payer l’hébergement Web et de « faire bénéficier l’utilisateur d’une expérience aussi séduisante qu’agréable », comme l’indique l’équipe en charge du projet dans le résumé figurant sur le site kickstarter.com. Si les fonds levés sont plus important que prévu, l’équipe s’est engagée à travailler sur la saison 2 de Balance of Powers. Le projet a levé 1 565 dollars de plus que nécessaire, ce qui nous permet de garder espoir…

 

Plus d’une centaine d’internautes ont apporté leur soutien à Balance of Powers. On pourrait penser que les noms des créateurs n’y sont pas étrangers : Adrian HonAndrea PhillipsDavid Varela et Naomi Alderman sont déjà bien connus du monde transmédia professionnel et ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble à la création d’expériences innovantes et marquantes. Mais le projet est assez intriguant pour attirer les curieux à la recherche de nouvelles expériences narratives, au point d’avoir été mis en avant par l’équipe de Kickstarter ce qui fournit toujours un coup de pouce bienvenu.

D’autre part, les objets promis, directement tirés de l’univers sombre de Balance of Powers, ont visiblement intéressé la communauté. Ainsi, pour un apport de 15 dollars, l’internaute recevra le titre de « cadet » et bénéficiera de contenus supplémentaires et de commentaires exclusifs sur les coulisses. Pour un apport supérieur à 40 dollars, l’internaute sera promu « lieutenant » et recevra chez lui un journal directement tiré de l’univers narratif. Enfin, pour un apport de 75 dollars, il pourra être nommé « commandant » et sera invité à une performance en ligne spéciale, voire sera même intégré à l’histoire. Plus de 10 internautes ont effectué des apports supérieurs à 200 dollars et recevront un livre en édition limitée de la saison 1 de Balance of Powers. Un internaute a même donné 500 dollars et recevra chez lui un artefact unique, tiré du monde de Balance of Powers.

La production communautaire au service d’un « cinéma sur Facebook » : NightVision

Autre projet faisant appel à la production communautaire comme source de préfinancement, l’expérience d’épouvante NightVision . Ce projet narratif hybride, qui n’est ni un film, ni un livre, ni un jeu, tente d’émerger grâce au soutien de la communauté en ligne. NightVision se jouera sur Facebook, Youtube et sur le Web pour former  un disposif décrit par ses créateurs comme du « Facebook Theater ».

Cette histoire cauchemardesque raconte le parcours d’« un groupe d’amis de l’Imperial College qui se retrouve piégé dans le noir complet avec une caméra à vision nocturne pour seule aide. Les images filmées par la caméra sont téléchargées sur Youtube en direct. » Le spectacle durera environ une demi-heure et sera diffusé sur les plateformes sociales. Le public pourra interagir avec les personnages via Facebook, Twitter et Youtube.

Créé par PlayThisNext, une société de développement multiplateforme, NightVision espérait récolter 10 000 dollars grâce à la production communautaire et financer ainsi les coûts de distribution, les dépenses de l’équipe, l’équipement technique et le script. Pour l’heure, 10,051 dollars ont été donnés via la plateforme Invested.in.

En récompense de leurs dons, les internautes recevront des billets, des invitations VIP aux projections en ligne, des remerciements spéciaux et un laissez-passer pour assister à plusieurs projections.

Au service d’un marché de niche : « A History of the Future in 100 Objects »

Le crowdfunding pourrait intéresser les projets plus petits ou ceux adressés aux marchés de niche, qui ne seront jamais distribués par les diffuseurs nationaux. Ce type de financement garantit la diversité des contenus et l’innovation. En optant pour le crowdfunding, le créateur s’adresse directement au public ciblé…

Financé par la communauté en ligne, « A History of the Future in 100 Objects » est un projet imaginé par Adrian Hon, l’un des co-fondateurs de « Six to Start », une société qui travaille sur de nouvelles façon de raconter des histoires. Présenté sur kickstarter.com, « A History of the Future in 100 Objects » est un projet journalistique né de l’imagination d’Adrian Hon et de son intérêt pour le futur. Il s’agit d’un blog visant à explorer l’avenir et qui propose 100 articles sur 100 objets, accompagnés de journaux du futur et de podcasts. Adrian Hon a voulu transformer cette expérience Web en un vrai livre, qui repose sur des faits scientifiques. Cette approche a visiblement séduit les lecteurs puisque les fonds levés dans le cadre du projet ont atteint le double de l’objectif initial qui était de 2 500 dollars.

L’auteur a levé des fonds pour financer les aspect techniques de son projet : l’enregistrement et la production d’un podcast de haute qualité avec de vrais acteurs, l’hébergement du site Web, les illustrations, l’impression de journaux, des livres et la conversion de ces derniers en livres électroniques ouverts sans droits numériques. Précisant réaliser ce projet par pur plaisir, l’auteur affirmait que si les fonds levés dépassaient l’objectif, il développerait des contenus supplémentaires, des applications pour smartphones ou pour tablettes, et même l’organisation d’un événement au British Museum auquel seraient invités des conférenciers. Et figurez-vous que c’est ce que s’est produit !

On peut se demander pourquoi les internautes ont décidé de se joindre à l’aventure et d’investir. Ainsi plus de 100 internautes ont aidé Adrian Hon à réunir les fonds dont il avait besoin pour concrétiser son projet. Avec des apports allant de 5 à 500 dollars, les internautes ont été conquis par les idées qu’il défendait, les récompenses promises et l’univers futuriste si propre à l’auteur.

Ce dispositif est très riche puisque toute une gamme de contenus a été créée pour les internautes : des lettres d’informations exclusives, des livres électroniques, des journaux imprimés en provenance directe du futur, des livres dédicacés (par un scientifique, un athlète olympique, voire même un président du futur), la possibilité de figurer dans un podcast comme chef de mission sur Mars et recevoir un objet du futur sculpté en 3D !

Pourquoi opter pour la production communautaire ?

Pour Balance of Powers, les créateurs ont déclaré avoir choisi ce type de financement pour établir un contact direct et quotidien avec les lecteurs et les participants. Comme ils l’ont expliqué, « financer un projet via Kickstarter est un excellent moyen de créer une communauté autour du nouveau monde dans lequel nous évoluons ». Mais la production communautaire ne permet pas seulement de nouer des liens avec la communauté en ligne, elle garantit également une certaine liberté en terme de créativité.

PlayThisNext, créateur de NightVision, a voulu innover et permettre à l’utilisateur final de s’impliquer dans le processus créatif de ce nouveau type de narration.

Outre l’obtention de fonds, la production communautaire permet de créer une communauté autour d’un projet avant même son lancement. Pour « Authentic in All Caps » présenté ici, Christy Dena nous expliquait avoir fait appel au soutien financier des internautes par le biais d’une précommande : « Cependant, je ne considère pas les précommandes comme mon principal modèle financier.

Elles ont une autre utilité : permettre de savoir qui est réellement intéressé par un projet créatif donné. C’est un moyen de tester le marché. La plupart des projets de crowdfunding collectent des fonds auprès de personnes soutenant les créateurs à l’origine du projet et qui ne sont pas nécessairement intéressées par le projet en lui-même. J’ai pour objectif de mener une vie artistique durable. En conséquence, je souhaite savoir qui acceptera d’investir dans mes projets créatifs. Je m’efforce de nouer une relation directe avec mon public ! » déclare Christy Dena.

À la lecture de ces projets, la production commautaire semble apporter des réponses positives au financement, à l’expérimentation et la promotion d’œuvres innovantes. Nouvelle méthode de financement destinée aux créateurs de contenus, le crowdfunding est plus qu’un simple porte-monnaie en ligne. C’est un moyen de se connecter avec de potentielles communautés numériques, très recherchées dans l’élaboration de projets transmedia… Cet engouement souligne la tendance des financements classiques à être parfois trop inaccessibles pour permettre à des projets créatifs et différents d’émerger.

 

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auteur Ana Vasile

Ana Vasile est rédactrice pour Transmedia Lab. Diplômé d’un Master Pro en Communication Multimédia et Audiovisuel de l’Institut de la Communication et des Médias à Grenoble, elle travaille en agence de publicité pendant plus de deux ans dans un département de création. Ana a contribué au développement de la politique éditoriale et à la rédaction d'articles au sein de l’équipe du Transmedia Lab de janvier à novembre 2011.

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